CONTENTIEUX DE LA CONSTRUCTION ET EXPERTISE JUDICIAIRE
Depuis une dizaine d’années, il existe dans le domaine de la construction une explosion du contentieux. Cette hausse s’explique en grande partie par l’omniprésence des « Protections juridiques » souvent incluses dans les « assurances multirisques habitation » que nombre d’entre nous souscrivent.
Il est d’ailleurs très courant pour un particulier (parfois de mauvaise foi) de contester le montant de sa facture en arguant de la mauvaise réalisation des travaux. Il dispose souvent d’une arme préventive, dissuasive et efficace payée par l’assurance : l’expertise judiciaire.
L’article 145 du Code de procédure civile permet en effet de solliciter du Juge une mesure d’instruction s’il existe un motif légitime de l’ordonner.
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Le plus souvent, un simple constat d’huissier décrivant les désordres, accompagné de la facture du maître d’ouvrage suffit à ce qu’une expertise soit ordonnée à vos frais (ou à celle de votre « protection juridique »). Si vous supportez seul une expertise en matière de Construction, la note peut rapidement atteindre 3.000€.
Il n’en demeure pas moins que cette expertise n’est pas une fatalité et en tant que constructeur, il faut se battre au mieux pour l’éviter, au pire pour la circonscrire.
Si cette mesure d’instruction devenue particulièrement courante est très utile dans l’optique d’un contentieux futur, il n’en demeure pas moins qu’il peut s’agir d’une charge très lourde à supporter pour les petites structures. Je ne peux que les exhorter à s’adjoindre les services d’un avocat dès la survenue des premiers troubles.
En effet, que vous soyez le client victime ou l’entreprise supposée responsable, l’expertise et la phase de négociation qui précède cette étape ne doit en aucun cas être négligée car elle conditionne
- L’éventuelle phase de négociation préalable
- La rédaction de la mission de l’expert
- Le choix et la transmission des pièces à l’expert
- La surveillance des opérations d’expertises par le biais de « Dires » (observations écrites) que les parties formulent en cours d’expertise.
Le juge qui sera saisi à l’issue de l’expertise ne sera jamais tenu de suivre l’avis de l’expert. Il n’en demeure pas moins vrai qu’une fois que les parties ont discuté pendant une ou deux années de la qualité de fabrication des rejingots des portes fenêtres ou de l’absence de respect d’un D.T.U pour la pose d’une couverture, il est rare que le Juge aille contre l’avis technique de l’expert du bâtiment.
Que vous soyez client victime ou entreprise jugée responsable, ne négligez pas l’expertise judiciaire.
Le rapport qui en découlera est une pièce trop importante pour être conçue sans qu’un Avocat en exploite chaque faille.
Une fois le rapport façonné par votre Avocat et déposé au Greffe du Tribunal ayant ordonné l’expertise, plusieurs possibilités s’offrent à vous :
- Vous pouvez choisir de ne rien faire car l’expertise ne vous est pas favorable et vous n’avez aucune chance d’obtenir la condamnation de l’entreprise.
- Vous pouvez également saisir le juge « du fond » (selon la terminologie consacrée) afin qu’il tranche la question des responsabilités et détermine le préjudice.
Là encore, cette décision vous appartient et il vous est loisible de décider seul des suites à donner.
Pour autant, lire un rapport d’expertise et savoir s’il permet ou non d’introduire l’un des quatre recours majeurs en matière de construction ne saurait s’improviser.
Pour être synthétique, il est nécessaire de les diviser en deux sous-ensembles articulés autour de la notion de « Réception », la réception étant l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.
Une fois cette notion maîtrisée, il faut savoir que la responsabilité du constructeur peut être recherchée :
- Pour les désordres antérieurs à la réception ou ceux réservés lors de la réception.
– Pour ces désordres, le constructeur est toujours lié à son client par un contrat. C’est donc la responsabilité contractuelle que le client doit actionner pour espérer obtenir l’indemnisation de son préjudice.
– C’est également ce fondement juridique dont il faudra user en cas de garantie contractuelle spécifique. - Ou sur le fondement des garanties légales ayant pour point de départ la réception de l’ouvrage.
– La garantie de parfait achèvement, à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an, à compter de la réception, s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procèsverbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.
– La garantie décennale prévue à l’article 1792 du Code civil et qui prévoit que tout constructeur d’un ouvrage est responsable des dommages même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
– La garantie biennale, définie négativement par l’article 1792-3 comme couvrant les désordres ne relevant pas de la garantie décennale.
Ces garanties légales ne sont pas d’un maniement aisé. Il est facile, même en ayant un rapport d’expertise favorable, de penser qu’un désordre doit être couvert par la garantie décennale alors que dans les faits il n’en est rien.
L’exemple est sans doute caricatural mais il a le mérite d’illustrer la difficulté : c’est l’exemple des fissures.
La jurisprudence considère que des fissures nombreuses mais minces, constituant de simples défectuosités aisément réparables, n’ayant qu’une incidence sur le plan esthétique, n’affectent en rien la solidité de la construction et ne rendent pas le bâtiment impropre à sa destination.
A l’inverse des fissures nuisant à l’étanchéité des murs seront considérées comme des désordres relevant de la garantie décennale.
Lorsque des fissures apparaissent chez vous, sur le mur flambant neuf de la véranda que vous venez d’installer, comment savoir si ces fissures sont purement esthétiques ou si elles compromettent la solidité de la structure ?
Ces difficultés d’interprétations (et elles sont nombreuses…) rendent difficiles le maniement de ces notions juridiques. Lorsque l’on sait de surcroît que les garanties des constructeurs ne couvrent que certains types de recours, la consultation d’un avocat dès le début de votre contentieux est absolument nécessaire.
Lors de cette consultation, votre avocat pourra mesurer le risque de l’action en justice.
- Est-ce votre désordre est susceptible d’être indemnisé ?
- Est-ce que l’assurance du constructeur couvrira ce désordre ?
- Est-ce que la santé financière du constructeur lui permettra de subir un long procès ?
Toutes ces questions sont des préalables nécessaires et votre avocat est là pour vous orienter vers une voie négociée, ou au contraire pour vous préparer à endurer la longue route de l’expertise judiciaire.
Bonjour,
Je travaille sur un article traitant du ravalement d’une façade en plâtre. Je souhaiterai savoir dans quel cas s’applique la garantie décennale ? Et la garantie biennale ? Merci d’avance. Anne Michel (06 19 42 14 96)
Bonsoir, un point de vue appréciable.